dimanche 5 février 2017

IL FAUT DÉFENDRE LE BAPE

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OPINION : BUREAU D'AUDIENCES PUBLIQUES SUR L'ENVIRONNEMENT

LE BAPE : LÉGITIME, PERTINENT, COMPÉTENT

Les réactions de CDPQ Infra, du milieu des affaires et de plusieurs élus au rapport du BAPE sur le projet de réseau électrique métropolitain (REM) convergent : celui-ci doit aller de l’avant tel que conçu et sans attendre. Selon eux, les raisons invoquées par le BAPE pour conclure qu’il est prématuré d’autoriser ce projet sont irrecevables parce que les questions sur lesquelles la commission d’enquête s’est prononcée outrepassent son mandat ou ont été adéquatement documentées par CDPQ Infra.





Ces réactions sonnent l’alerte sur deux dérives qui menacent gravement notre cheminement vers le développement durable ainsi que la santé démocratique de notre société, d’où l’intervention publique des soussignés.
La première dérive met en cause l’appareil législatif et institutionnel que le Québec s’est donné depuis 40 ans en matière de protection de l’environnement, d’aménagement et de gestion du territoire, et de participation citoyenne. Cet appareil s’inscrit dans la dynamique générale du développement durable, selon des principes aujourd’hui universellement reconnus d’inclusion et de mise en balance des enjeux environnementaux, sociaux, économiques et financiers. C’est la prise en considération dynamique de l’ensemble de ces volets qui permet de cheminer vers le développement durable.
En évacuant les dimensions économiques de l’évaluation environnementale des projets, le Québec reculerait dans le peloton de queue des États modernes.
La deuxième dérive touche le contrôle de l’information. CDPQ Infra a mené avec maestria le processus de communication de son projet, tant pour le contenu des messages que pour l’encadrement de leur diffusion et la gouverne des échanges avec les autres parties prenantes ou le public. Sa tâche était facilitée du fait que le REM a tout pour séduire : un projet d’envergure auquel seul le métro peut se comparer, une technologie d’avant-garde, une réponse à la lenteur qui afflige les autres projets de transport collectif, etc.
Aucun d’entre nous ne conteste qu’il y ait urgence à développer le transport collectif à Montréal, qu’un système de transport rapide relie enfin la Rive-Sud et le centre-ville en misant sur la construction du nouveau pont Champlain, et qu’il convienne de recourir aux technologies avancées les plus appropriées. Il n’en demeure pas moins qu’en raison même de son envergure exceptionnelle, le REM sera porteur d’énormes répercussions sur les finances publiques, l’offre en transport et l’aménagement du territoire.
Il est normal que les municipalités et les populations concernées s’intéressent au REM dans les détails. Il est également normal que ce grand projet fasse l’objet d’examens indépendants comme ceux dirigés par le BAPE et la CPTAQ. Or, les réactions de nos dirigeants politiques et de CDPQ Infra à l’avis de la CPTAQ, en octobre dernier, et au récent rapport du BAPE indiquent qu’ils font peu de cas de leur rôle dans le processus démocratique.
En cela, nos dirigeants et CDPQ Infra affichent à l’endroit de ces organismes un mépris que les autres grands gestionnaires d’infrastructures publiques n’ont jamais manifesté.
Il y a peu, toute la région de Montréal, élus en tête, se mobilisait contre le projet de pipeline Énergie Est, reprochant à son promoteur de se faire avare d’informations et d’études pertinentes, déposées en temps utile. Le consensus d’alors reposait sur des prémisses et un raisonnement analogues à ceux qui soutiennent les questions du BAPE. Du reste, les exemples ne manquent pas à propos de projets qui, faute de planification adéquate, sont restés inutiles même si nous en payons encore le prix, ou dont les dépassements grèvent encore le Trésor public.
PROCESSUS BRUSQUÉ
Le BAPE demeure l’un des plus importants lieux pour l’examen objectif d’un projet et pour un débat public crédible. Il possède la légitimité, la compétence et l’indépendance nécessaires, autant d’attributs qui rendent son intervention encore plus opportune lorsqu’il s’agit d’un projet majeur d’intérêt collectif réalisé avec les deniers publics. L’envergure du projet de REM aurait dû guider le ministre du Développement durable, de l‘Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques tant pour les exigences relatives à l’étude d’impact que pour le temps à accorder au BAPE pour l’examen public du projet. Au lieu de quoi il a précipité l’acceptation de l’étude d’impact et télescopé l’ensemble du processus, si bien que des documents importants n’ont été remis qu’en décembre, à quelques jours du dépôt du rapport, l’analyse de la commission étant pratiquement complétée.
Rappelons en terminant que pour réaliser leur mandat, les commissaires du BAPE disposent des pouvoirs et de l’immunité des commissaires nommés en vertu de la Loi sur les commissions d’enquête. Il ne viendrait à personne l’idée de traiter une commission d’enquête ou un tribunal de façon aussi cavalière que le BAPE l’a été ces derniers jours.
Le dérapage d’une démarche démocratique prévue par la loi peut conduire au détournement du but de l’exercice qui est d’élaborer le meilleur projet possible et d’éclairer les décisions du gouvernement. Le leadership qu’on attend de celui-ci passe par la prise en compte ouverte et respectueuse des avis des organismes qui ont mandat de les lui donner.
*Les personnes suivantes appuient la présente déclaration d’appui au BAPE : Gérard Beaudet, professeur titulaire, École d'urbanisme et d'architecture de paysage, Université de Montréal ; Laurence Bherer, professeur en science politique, spécialiste de la participation publique ; Paul-André Comeau, professeur associé à l'ENAP, ancien président de la Commission d'accès à l'information ; Suzanne Coupal, juge retraitée, chroniqueuse judiciaire ; Jean Décarie, urbaniste retraité ; Nathalie Dion, présidente, Ordre des architectes du Québec ; Michel Gariépy, urbaniste émérite, professeur émérite, École d’urbanisme et d’architecture de paysage ; Mario Gauthier, professeur titulaire, département des sciences sociales, Université du Québec en Outaouais ; Peter Jacobs, professeur émérite, École d’urbanisme et d’architecture de paysage, Université de Montréal ; Claudette Journault, biologiste émérite, ex-vice-présidente du BAPE ; Phyllis Lambert, architecte, directeur fondateur émérite du Centre canadien d’architecture ; Jean-François Lefebvre, chargé de cours, DEUT-École des sciences de la gestion, UQAM ; Jean-Claude Marsan, urbaniste émérite, professeur émérite, Université de Montréal ; Florence Paulhiac-Scherrer, professeure, titulaire de la Chaire de recherche In.SITU sur les innovations en stratégies intégrées transport-urbanisme, École des sciences de la gestion, UQAM ; Jean-Pierre Revéret, professeur, codirecteur de la Chaire sur le cycle de vie, École des sciences de la gestion, UQAM ; Dimitri Roussopoulos, fondateur, Centre d’écologie urbaine de Montréal ; Louise Roy, ex-vice-présidente du BAPE ; Franck Scherrer, directeur de l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage, Université de Montréal ; Louis Simard, professeur agrégé, École d'études politiques, Université d'Ottawa ; Jean-Philippe Waaub, professeur, département de géographie, UQAM ; Joshua Wolfe, AICP (American Institute of Certified Planners)
OPINION : BAPE

SON MANDAT ENGLOBE L'ANALYSE DES IMPACTS ÉCONOMIQUES

Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) analyse depuis 40 ans la justification ou la pertinence des projets qui lui sont soumis, y compris leurs fondements économiques, ce que plusieurs semblent découvrir depuis quelque temps, en y voyant même un débordement de son mandat. Ce jugement erroné souvent porté sur le mandat du BAPE commence à être considéré comme un fait à force d’être répété.
Pierre Dansereau, un des grands pionniers des sciences de l’environnement, a démontré dans les années 70-80 comment les humains faisaient partie intégrante de cette nature dont ils profitent, mais qu’ils peuvent tout autant modifier par leurs actions. Les sciences de l’environnement ont décloisonné l’analyse et les décisions prises sur les grands projets, qui se prenaient jusque-là en fonction d’intérêts et de visions sectorielles.
Une approche plus globale, intégrant toutes les dimensions des projets, s’est alors imposée.
Un exemple parmi d’autres : les bases économiques trop fragiles d’un projet peuvent se traduire par son abandon en cours de route, avec un cortège de déchets ou d’habitats dévastés, qui vont imposer des coûts indus à la société et aux écosystèmes. Cette vision a fait son chemin depuis dans les politiques publiques et les lois malgré les résistances.
Le BAPE a examiné depuis sa création plus de 330 grands projets de toute nature. Déjà dans le rapport numéro un, qui date de 1979, le président de cette commission d’enquête et vice-président du BAPE de l’époque, MeMichel Yergeau, aujourd’hui juge à la Cour supérieure après une carrière remarquée en droit environnemental, expliquait ainsi l’approche élargie de cette première commission d’enquête : 
« Étant donné la diversité et la qualité des questions soulevées et compte tenu des intérêts régionaux parfois différents les uns des autres, le BAPE ne pouvait pas restreindre la notion d’environnement aux seules questions bio-physiques mais devait y inclure des préoccupations d’ordre socio-économique et culturel. [...] Il ne pouvait d’ailleurs en être autrement puisque les deux promoteurs avaient pris soin d’aborder ces sujets dans leur requête respective au chapitre de l’environnement. »
Le rapport Lacoste de 1988 sur la révision de la procédure environnementale note l’évolution de cette perspective des commissions d’enquête du BAPE et propose de l’appliquer aussi aux politiques et programmes du gouvernement.
Un an plus tôt, en 1987, le Groupe de travail national sur l’environnement et l’économie citait dans son rapport la vision du Conseil canadien des ministres des Ressources naturelles et de l’Environnement, adoptée à la suite du rapport Brundtland : 
« Nos recommandations reflètent des principes que nous partageons avec la Commission mondiale sur l’environnement et le développement. Nous croyons notamment que la planification environnementale et la planification économique ne peuvent se faire dans des milieux séparés. La croissance économique à long terme dépend de l’environnement. »
UNE DÉFINITION QUI S'IMPOSE
Dans son jugement de 1992, qui a stoppé pendant plusieurs années la construction d’un important barrage pour défaut d’une évaluation environnementale exhaustive, la Cour suprême (Friends of the Oldman River Society c. Canada – ministre des Transports, 1992) a défini l’environnement d’une manière qui s’impose depuis à toutes les institutions publiques au pays : 
« L’environnement, dans son sens générique, englobe l’environnement physique, économique et social touchant plusieurs domaines de compétence attribués aux deux paliers de gouvernement. »
Au Québec, la Cour d’appel a confirmé en 1993 dans l’arrêt Bellefleur que cette vision s’appliquait aussi à la législation québécoise.
Enfin, en 2006, l’Assemblée nationale a adopté la Loi sur le développement durable, dont les dispositions s’appliquent (Art. 3) à toutes les institutions gouvernementales québécoises. On y trouve notamment le principe de « l’efficacité économique », qui exige de vérifier si les investissements sont dépensés à bon escient, et les principes du « pollueur payeur » et de « l’internalisation des coûts », censés protéger la société contre des coûts économiques injustifiés.
C’est dans cette logique que le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC) demande dans chaque directive qu’il émet aux promoteurs d’exposer dans leur étude d’impacts la raison d’être de leurs projets. Ces questions étant explicitement abordées dans cette étude, le public remet en question de plein droit ces matières en audience. Il s’attend évidemment à ce que la commission d’enquête traite de ces matières dans son rapport.
En réalité, une commission qui n’examinerait pas tous ces aspects, que les promoteurs doivent aborder, contreviendrait aux exigences de son mandat, ce qui est exactement le contraire de ce que certains prétendent aujourd’hui. Il est par conséquent erroné de dire que le BAPE déborde de son mandat quand il aborde la justification d’un projet, ou l’une ou l’autre de ses dimensions sociales et économiques. Cette approche globale et intégrée des grands projets est d’ailleurs aujourd’hui notamment codifiée dans la Convention internationale d’Aarhus, signée en 1998 par 39 pays.
Certes, des personnes ou des groupes ont le droit de penser que tel ne devrait pas être l’état du droit et de la science environnementale. Ou être en désaccord avec les conclusions d’une commission. Mais le respect des faits quant à la portée des mandats des commissions d’enquêtes du BAPE devrait s’imposer au nom de la plus élémentaire rigueur.

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